Bush reçoit un camouflet au sommet de l’OTAN
Lors du sommet de l´OTAN du week-end dernier à Bucarest, la capitale roumaine, le président américain George W. Bush eut à faire à une opposition européenne concertée contre ses plans de poursuite de l’élargissement de l’Alliance vers l’Europe de l’Est. Seul un compromis de dernière minute a permis au président américain de ne pas perdre la face. Selon la presse, les politiciens allemands en particulier se sont montrés contrariés et inquiets face à l’obstination du président américain d’accueillir rapidement la Géorgie et l’Ukraine dans les rangs de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord....
Mercredi soir, lors du dîner officiel du sommet, l’opposition française et allemande aux projets de Bush s’est vue renforcée par le soutien de l’Italie, de la Hongrie et des pays du Benelux. Même le plus proche allié de Bush en Europe, le premier ministre britannique Gordon Brown, a déclaré qu’il était bien trop tôt pour l’OTAN d’accepter les deux anciennes républiques soviétiques.
Lors du dîner qui a duré deux heures de plus que prévu, Bush aurait finalement reconnu qu’il ne lui serait pas possible de faire accepter sa proposition. Selon un haut fonctionnaire du gouvernement américain, « la discussion avait plutôt mobilisé les Européens » et plusieurs alliés européens se sont énervés à cause de l’attitude de Bush. Dans le but évident de donner une tournure favorable au différend, le même fonctionnaire a déclaré: « On était tout à fait divisé, mais c´était une bonne division. »
Mercredi soir, après d’intenses délibérations entre le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier allemand (SPD) et la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, un compromis fut finalement trouvé. La formulation acceptée jeudi par les participants au sommet omet de façon évidente d’avancer le moindre calendrier pour l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine. Le compromis fut largement considéré comme un moyen de permettre au président américain de sauver la face et comme une victoire de la diplomatie allemande.
Dans leurs comptes-rendus des tensions survenues au sommet de Bucarest entre les Etats-Unis et leurs alliés européens, les journaux allemands ont ouvertement qualifié le comportement du président américain de provocation visant à diviser l’alliance.
Dans le Süddeutsche Zeitung, Stefan Cornelius a rapporté que la chancelière allemande, Angela Merkel (CDU), avait clairement fait comprendre au président américain il y a un an que l’Allemagne était opposée à toute adhésion à court terme de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Lors de plusieurs vidéoconférences avec Washington tenues ces derniers mois, Merkel avait réitéré que l’Allemagne n’était pas disposée à céder sur ce point. Jusqu’à la semaine dernière, les diplomates allemands avaient été confiants qu’une solution diplomatique serait trouvée pour résoudre la question tout en évitant un conflit ouvert lors du sommet.
Cette option allait échouer suite aux déclarations faites cette semaine à plusieurs reprises par le président Bush et dans lesquelles il insistait sur un calendrier de négociations en faveur d’une entrée rapide des deux pays dans l’Alliance atlantique. Mardi, Bush apparaissait à Kiev aux côtés du président ukrainien Viktor Iouchtchenko pour déclarer que « les Etats-Unis soutenaient entièrement [sa] demande » d’intégration à l’OTAN.
Moscou a répondu sur-le-champ à la proposition de Bush. Le ministre russe adjoint des Affaires étrangères, Grigory Karasin, a réitéré qu´une adhésion ukrainienne à l’OTAN entraînerait une crise profonde dans les relations russo-ukrainiennes et l’envoyé de la Russie auprès de l’OTAN, Dmitry Rogozin, a déclaré que, si l’Ukraine et la Géorgie étaient accueillies dans le soi-disant Plan d’action en vue de l’adhésion (Membership Action Plan, MAP), cela « marquerait un point de non retour dans les relations de son pays avec l’Alliance. »
Ecartant toute critique de ses projets, Bush a repris mercredi dans la capitale roumaine le thème de l’élargissement de l’OTAN devant un auditoire de 500 dirigeants du monde politique et des affaires ainsi que lors d’une réunion du fonds Marshall allemand.
Suite à quoi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a réprouvé les propos de Bush, qualifiant sa proposition d´élargissement « d’artificielle et de tout à fait inutile » et lançant un avertissement ostensible depuis la Douma (le parlement) à Moscou… « Quand cela se passera, notre réponse ne se fera pas attendre, je vous l’assure. »
Le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, a déclaré mardi dans une interview accordée au Leipziger Volkszeitung qu’il existait beaucoup de scepticisme en Europe quant au soutien américain à l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Steinmeier a dit qu’après la « difficile décision sur la reconnaissance du Kosovo, il est clair que nous avons atteint, en ce qui concerne notre politique étrangère, le seuil de tolérance de la Russie. »
Steinmeier, tout comme Merkel, avance l´argument que ni la Géorgie sous son président de la république autoritaire Mikheïl Saakaschvili ni l’Ukraine où une grande majorité de la population est opposée à l’adhésion à l’OTAN, ne sont prêtes pour rejoindre l’alliance.
Dans son article de tête sur l’ouverture du sommet, la Süddeutsche Zeitung a commenté : « la stratégie de confrontation de Bush dès le début du sommet a été décrite par les diplomates d’extraordinaire parce qu’elle aurait pu conduire à ce que soit le président soit son adversaire, en l’occurrence la chancelière allemande, y perde la face… »
L’avenir de l’OTAN en jeu
A l’époque de la guerre froide, l’OTAN avait été la pierre angulaire de la politique militaire occidentale sur la scène internationale. A présent, deux décennies après l’effondrement de l’Union soviétique et dans des conditions de crise financière et politique croissante aux Etats-Unis même, certains commentateurs politiques soulignent que l’apparition de divergences profondes entre l’Europe et les Etats-Unis est une menace pour l’existence même de l’alliance.
Dans un article publié dans le journal britannique Independent et intitulé : « N’est-il pas temps de dissoudre l’OTAN maintenant que la guerre froide est finie ? », Adrian Hamilton énumère un certain nombre de sujets de désaccords au sommet de Bucarest : « Les participants sont en désaccord au sujet de l’élargissement vers l’est, les Etats-Unis, soutenus par les membres plus récents, insistant pour une adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine malgré le doute exprimé publiquement par l’Allemagne et l’opposition farouche de la Russie. Les membres du noyau central [de l´alliance] sont en désaccord au sujet de leur contribution individuelle à la guerre en Afghanistan. Même la question relativement peu controversée de l’intégration de la Macédoine dans l’organisation est menacée de veto par les Grecs si le nouveau membre refuse de changer de nom. »
Hamilton poursuit : « S’il s’agissait d’une famille, elle pourrait se mesurer aux Royal Tenenbaums [dans le film du même nom de Wes Anderson] et remporter la palme du dysfonctionnement. » Et il conclut : « La perspective angoissante qui règne à Bucarest est qu’en permettant que l’OTAN ne soit poussée dans une nouvelle direction avant que soit réglée la difficile question de son avenir, on risque de détruire l’alliance toute entière. »
L’avenir de l’OTAN fut également abordé par l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, qui considère que le conflit grandissant entre l’Allemagne et les Etats-Unis est au cœur des différends survenus à Bucarest.
Fischer a écrit dans le journal Die Zeit de lundi : « L’avenir de l’OTAN en tant qu’Alliance mondiale pour l’intervention et la sécurité n’est pas à l’ordre du jour officiel du sommet de l’OTAN à Bucarest mais c’est précisément ce dont il sera question. »
En énumérant trois questions fondamentales du sommet, l’Afghanistan, l’élargissement de l’OTAN, les relations OTAN-Russie, Fischer conclut : « Il est remarquable que sur les trois questions décisives de Bucarest, le gouvernement allemand soit en opposition au gouvernement Bush. »
Il vaut la peine d’examiner les commentaires de Fischer de plus près. Contrairement à son prédécesseur, le dirigeant du SPD Gerhard Schröder, Angela Merkel a déclaré soutenir l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Si elle avait été au pouvoir à l’époque, des troupes allemandes seraient très probablement engagées dans le bourbier irakien à l´heure qu´il est. Depuis sa prise de pouvoir en 2005, elle s’est efforcée de surmonter la rupture qui était survenue dans les relations avec les Etats-Unis suite au refus de Schröder de défendre ouvertement l’invasion et l’occupation américaines de l´Irak. Il n’y a pas l’ombre d’un doute quant à la crédibilité atlantiste de Merkel. Mais à présent, selon Fischer, la chancelière allemande est, en dépit de ses efforts, en désaccord avec le président américain sur trois questions cruciales de la politique étrangère.
L’Allemagne est très certainement désireuse de maintenir de bonnes relations de travail avec la Russie, pays dont dépend fortement son approvisionnement en énergie. Les tentatives actuelles de Washington de raviver la guerre froide, la Russie jouant le rôle de l’ancienne Union soviétique, ne suffisent pourtant pas à expliquer l’intensité des conflits existant entre l’Allemagne et son allié d’après-guerre le plus étroit. Après la Deuxième Guerre mondiale, les nations occidentales européennes, et l’Allemagne en particulier, ont considéré les Etats-Unis comme un bastion de stabilité économique et politique.
Etant en mesure de compter sur le soutien économique et militaire des Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN, il fut possible à l’Allemagne et aux autres pays européens de s’occuper de la reconstruction de leurs économies nationales après la guerre. Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, les Etats-Unis furent considérés dans les milieux politiques influents, en Europe de l’Est comme de l’Ouest, comme un modèle de développement économique et politique.
Aujourd’hui, au début du 21e siècle, la donne est tout à fait différente. Le premier grand coup porté contre l’OTAN durant ce siècle fut donné par le gouvernement Bush avec la mise en place de la « coalition des volontaires » pour l’aider à mener sa guerre contre l´Irak et à s’assurer les ressources de pétrole du Proche-Orient. La formation d’une coalition de puissances hors des structures internationales existantes dont les Etats-Unis avaient été les pionniers après la Seconde Guerre mondiale, fut correctement interprétée par les puissances européennes comme une tentative de la part de Washington de compenser le déclin de son influence au sein de l’ONU et de l’OTAN.
A la débâcle des cinq années de guerre en Irak s’ajoutent à présent les revers qui se multiplient pour les troupes de la coalition en Afghanistan. Bush s’est rendu à Bucarest avec la ferme intention de réclamer que davantage de troupes combattent dans ce pays ravagé, mais les dirigeants européens sont tout à fait conscients à quel point cette guerre est impopulaire aux yeux de leurs électorats respectifs.
Seul le président français, Nicolas Sarkozy, a réagi au récent appel de Bush en acceptant, sans information de son parlement, d’envoyer 700 soldats français supplémentaires dans l’est de l’Afghanistan. Pour donner une idée des proportions : le commandant en chef de la force internationale de l’OTAN en Afghanistan, le général américain Dan McNeill, a déclaré il y a une semaine que plus de 400.000 hommes étaient nécessaires pour que l’alliance menée par les Etats-Unis puisse combattre efficacement les talibans dans la région. Après sept années de guerre, en plus des signes d’une activité accrue des talibans, McNeill dispose actuellement de moins de 60 000 hommes.
Fischer, au même titre que Merkel, est tout à fait conscient de la dette que le capitalisme de l’Allemagne d’après-guerre a envers les Etats-Unis mais il considère que le gouvernement Bush est trop « faible » et trop « incompétent » pour mener à bien cette besogne en Afghanistan. Fischer affirme que l’Allemagne doit surmonter ses scrupules, envoyer des troupes de combat dans des zones dangereuses et aider les Etats-Unis à tirer les marrons du feu en déployant des soldats dans les régions du sud du pays ravagé par la guerre.
Durant les derniers mois du mandat de Bush, la politique étrangère du président américain revêt un caractère de plus en plus imprévisible et agressif. Ceci a sonné l’alarme dans les milieux politiques européens tout en obligeant les puissances européennes à adopter une attitude de plus en plus indépendante en matière de sécurité et de défense.
L’influent magazine politique allemand IP (Internationale Politik) avait déjà publié des débats sur l’avenir de l’OTAN dans la période précédant le sommet de Bucarest. S’exprimant contre une poursuite de l’alliance, l’expert hollandais de la défense, Peter van Ham, y a affirmé : « Ce n’est qu’une question de temps avant que l’UE ne remplace l’OTAN comme garant de la sécurité et de la défense en Europe. » Ham a accusé les Etats-Unis d’avilir l’OTAN : « Pour eux, l’OTAN n’est rien moins qu’une sorte de saloon où le shérif américain rassemble rapidement sa bande pour traquer les méchants. En mobilisant leur alliance, les Etats-Unis peuvent acquérir le cachet de la légitimité internationale sans que leur marge de manœuvre en matière de politique extérieure ne soit réduite. »
Argumentant contre cette position, un expert plus expérimenté en matière de sécurité, le professeur Karl Kaiser, rappelle que l’objectif initial de la construction de l’OTAN n’avait pas été de combattre une menace extérieure, mais d’empêcher la guerre entre les Etats-membres. En d’autres termes, les pressions centrifuges évidentes à Bucarest et qui menacent à présent de faire éclater l’OTAN, créent également les conditions pour de nouvelles confrontations militaires entre les principales puissances militaires.
wsws.
Lors du dîner qui a duré deux heures de plus que prévu, Bush aurait finalement reconnu qu’il ne lui serait pas possible de faire accepter sa proposition. Selon un haut fonctionnaire du gouvernement américain, « la discussion avait plutôt mobilisé les Européens » et plusieurs alliés européens se sont énervés à cause de l’attitude de Bush. Dans le but évident de donner une tournure favorable au différend, le même fonctionnaire a déclaré: « On était tout à fait divisé, mais c´était une bonne division. »
Mercredi soir, après d’intenses délibérations entre le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier allemand (SPD) et la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, un compromis fut finalement trouvé. La formulation acceptée jeudi par les participants au sommet omet de façon évidente d’avancer le moindre calendrier pour l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine. Le compromis fut largement considéré comme un moyen de permettre au président américain de sauver la face et comme une victoire de la diplomatie allemande.
Dans leurs comptes-rendus des tensions survenues au sommet de Bucarest entre les Etats-Unis et leurs alliés européens, les journaux allemands ont ouvertement qualifié le comportement du président américain de provocation visant à diviser l’alliance.
Dans le Süddeutsche Zeitung, Stefan Cornelius a rapporté que la chancelière allemande, Angela Merkel (CDU), avait clairement fait comprendre au président américain il y a un an que l’Allemagne était opposée à toute adhésion à court terme de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Lors de plusieurs vidéoconférences avec Washington tenues ces derniers mois, Merkel avait réitéré que l’Allemagne n’était pas disposée à céder sur ce point. Jusqu’à la semaine dernière, les diplomates allemands avaient été confiants qu’une solution diplomatique serait trouvée pour résoudre la question tout en évitant un conflit ouvert lors du sommet.
Cette option allait échouer suite aux déclarations faites cette semaine à plusieurs reprises par le président Bush et dans lesquelles il insistait sur un calendrier de négociations en faveur d’une entrée rapide des deux pays dans l’Alliance atlantique. Mardi, Bush apparaissait à Kiev aux côtés du président ukrainien Viktor Iouchtchenko pour déclarer que « les Etats-Unis soutenaient entièrement [sa] demande » d’intégration à l’OTAN.
Moscou a répondu sur-le-champ à la proposition de Bush. Le ministre russe adjoint des Affaires étrangères, Grigory Karasin, a réitéré qu´une adhésion ukrainienne à l’OTAN entraînerait une crise profonde dans les relations russo-ukrainiennes et l’envoyé de la Russie auprès de l’OTAN, Dmitry Rogozin, a déclaré que, si l’Ukraine et la Géorgie étaient accueillies dans le soi-disant Plan d’action en vue de l’adhésion (Membership Action Plan, MAP), cela « marquerait un point de non retour dans les relations de son pays avec l’Alliance. »
Ecartant toute critique de ses projets, Bush a repris mercredi dans la capitale roumaine le thème de l’élargissement de l’OTAN devant un auditoire de 500 dirigeants du monde politique et des affaires ainsi que lors d’une réunion du fonds Marshall allemand.
Suite à quoi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a réprouvé les propos de Bush, qualifiant sa proposition d´élargissement « d’artificielle et de tout à fait inutile » et lançant un avertissement ostensible depuis la Douma (le parlement) à Moscou… « Quand cela se passera, notre réponse ne se fera pas attendre, je vous l’assure. »
Le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, a déclaré mardi dans une interview accordée au Leipziger Volkszeitung qu’il existait beaucoup de scepticisme en Europe quant au soutien américain à l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Steinmeier a dit qu’après la « difficile décision sur la reconnaissance du Kosovo, il est clair que nous avons atteint, en ce qui concerne notre politique étrangère, le seuil de tolérance de la Russie. »
Steinmeier, tout comme Merkel, avance l´argument que ni la Géorgie sous son président de la république autoritaire Mikheïl Saakaschvili ni l’Ukraine où une grande majorité de la population est opposée à l’adhésion à l’OTAN, ne sont prêtes pour rejoindre l’alliance.
Dans son article de tête sur l’ouverture du sommet, la Süddeutsche Zeitung a commenté : « la stratégie de confrontation de Bush dès le début du sommet a été décrite par les diplomates d’extraordinaire parce qu’elle aurait pu conduire à ce que soit le président soit son adversaire, en l’occurrence la chancelière allemande, y perde la face… »
L’avenir de l’OTAN en jeu
A l’époque de la guerre froide, l’OTAN avait été la pierre angulaire de la politique militaire occidentale sur la scène internationale. A présent, deux décennies après l’effondrement de l’Union soviétique et dans des conditions de crise financière et politique croissante aux Etats-Unis même, certains commentateurs politiques soulignent que l’apparition de divergences profondes entre l’Europe et les Etats-Unis est une menace pour l’existence même de l’alliance.
Dans un article publié dans le journal britannique Independent et intitulé : « N’est-il pas temps de dissoudre l’OTAN maintenant que la guerre froide est finie ? », Adrian Hamilton énumère un certain nombre de sujets de désaccords au sommet de Bucarest : « Les participants sont en désaccord au sujet de l’élargissement vers l’est, les Etats-Unis, soutenus par les membres plus récents, insistant pour une adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine malgré le doute exprimé publiquement par l’Allemagne et l’opposition farouche de la Russie. Les membres du noyau central [de l´alliance] sont en désaccord au sujet de leur contribution individuelle à la guerre en Afghanistan. Même la question relativement peu controversée de l’intégration de la Macédoine dans l’organisation est menacée de veto par les Grecs si le nouveau membre refuse de changer de nom. »
Hamilton poursuit : « S’il s’agissait d’une famille, elle pourrait se mesurer aux Royal Tenenbaums [dans le film du même nom de Wes Anderson] et remporter la palme du dysfonctionnement. » Et il conclut : « La perspective angoissante qui règne à Bucarest est qu’en permettant que l’OTAN ne soit poussée dans une nouvelle direction avant que soit réglée la difficile question de son avenir, on risque de détruire l’alliance toute entière. »
L’avenir de l’OTAN fut également abordé par l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, qui considère que le conflit grandissant entre l’Allemagne et les Etats-Unis est au cœur des différends survenus à Bucarest.
Fischer a écrit dans le journal Die Zeit de lundi : « L’avenir de l’OTAN en tant qu’Alliance mondiale pour l’intervention et la sécurité n’est pas à l’ordre du jour officiel du sommet de l’OTAN à Bucarest mais c’est précisément ce dont il sera question. »
En énumérant trois questions fondamentales du sommet, l’Afghanistan, l’élargissement de l’OTAN, les relations OTAN-Russie, Fischer conclut : « Il est remarquable que sur les trois questions décisives de Bucarest, le gouvernement allemand soit en opposition au gouvernement Bush. »
Il vaut la peine d’examiner les commentaires de Fischer de plus près. Contrairement à son prédécesseur, le dirigeant du SPD Gerhard Schröder, Angela Merkel a déclaré soutenir l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Si elle avait été au pouvoir à l’époque, des troupes allemandes seraient très probablement engagées dans le bourbier irakien à l´heure qu´il est. Depuis sa prise de pouvoir en 2005, elle s’est efforcée de surmonter la rupture qui était survenue dans les relations avec les Etats-Unis suite au refus de Schröder de défendre ouvertement l’invasion et l’occupation américaines de l´Irak. Il n’y a pas l’ombre d’un doute quant à la crédibilité atlantiste de Merkel. Mais à présent, selon Fischer, la chancelière allemande est, en dépit de ses efforts, en désaccord avec le président américain sur trois questions cruciales de la politique étrangère.
L’Allemagne est très certainement désireuse de maintenir de bonnes relations de travail avec la Russie, pays dont dépend fortement son approvisionnement en énergie. Les tentatives actuelles de Washington de raviver la guerre froide, la Russie jouant le rôle de l’ancienne Union soviétique, ne suffisent pourtant pas à expliquer l’intensité des conflits existant entre l’Allemagne et son allié d’après-guerre le plus étroit. Après la Deuxième Guerre mondiale, les nations occidentales européennes, et l’Allemagne en particulier, ont considéré les Etats-Unis comme un bastion de stabilité économique et politique.
Etant en mesure de compter sur le soutien économique et militaire des Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN, il fut possible à l’Allemagne et aux autres pays européens de s’occuper de la reconstruction de leurs économies nationales après la guerre. Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, les Etats-Unis furent considérés dans les milieux politiques influents, en Europe de l’Est comme de l’Ouest, comme un modèle de développement économique et politique.
Aujourd’hui, au début du 21e siècle, la donne est tout à fait différente. Le premier grand coup porté contre l’OTAN durant ce siècle fut donné par le gouvernement Bush avec la mise en place de la « coalition des volontaires » pour l’aider à mener sa guerre contre l´Irak et à s’assurer les ressources de pétrole du Proche-Orient. La formation d’une coalition de puissances hors des structures internationales existantes dont les Etats-Unis avaient été les pionniers après la Seconde Guerre mondiale, fut correctement interprétée par les puissances européennes comme une tentative de la part de Washington de compenser le déclin de son influence au sein de l’ONU et de l’OTAN.
A la débâcle des cinq années de guerre en Irak s’ajoutent à présent les revers qui se multiplient pour les troupes de la coalition en Afghanistan. Bush s’est rendu à Bucarest avec la ferme intention de réclamer que davantage de troupes combattent dans ce pays ravagé, mais les dirigeants européens sont tout à fait conscients à quel point cette guerre est impopulaire aux yeux de leurs électorats respectifs.
Seul le président français, Nicolas Sarkozy, a réagi au récent appel de Bush en acceptant, sans information de son parlement, d’envoyer 700 soldats français supplémentaires dans l’est de l’Afghanistan. Pour donner une idée des proportions : le commandant en chef de la force internationale de l’OTAN en Afghanistan, le général américain Dan McNeill, a déclaré il y a une semaine que plus de 400.000 hommes étaient nécessaires pour que l’alliance menée par les Etats-Unis puisse combattre efficacement les talibans dans la région. Après sept années de guerre, en plus des signes d’une activité accrue des talibans, McNeill dispose actuellement de moins de 60 000 hommes.
Fischer, au même titre que Merkel, est tout à fait conscient de la dette que le capitalisme de l’Allemagne d’après-guerre a envers les Etats-Unis mais il considère que le gouvernement Bush est trop « faible » et trop « incompétent » pour mener à bien cette besogne en Afghanistan. Fischer affirme que l’Allemagne doit surmonter ses scrupules, envoyer des troupes de combat dans des zones dangereuses et aider les Etats-Unis à tirer les marrons du feu en déployant des soldats dans les régions du sud du pays ravagé par la guerre.
Durant les derniers mois du mandat de Bush, la politique étrangère du président américain revêt un caractère de plus en plus imprévisible et agressif. Ceci a sonné l’alarme dans les milieux politiques européens tout en obligeant les puissances européennes à adopter une attitude de plus en plus indépendante en matière de sécurité et de défense.
L’influent magazine politique allemand IP (Internationale Politik) avait déjà publié des débats sur l’avenir de l’OTAN dans la période précédant le sommet de Bucarest. S’exprimant contre une poursuite de l’alliance, l’expert hollandais de la défense, Peter van Ham, y a affirmé : « Ce n’est qu’une question de temps avant que l’UE ne remplace l’OTAN comme garant de la sécurité et de la défense en Europe. » Ham a accusé les Etats-Unis d’avilir l’OTAN : « Pour eux, l’OTAN n’est rien moins qu’une sorte de saloon où le shérif américain rassemble rapidement sa bande pour traquer les méchants. En mobilisant leur alliance, les Etats-Unis peuvent acquérir le cachet de la légitimité internationale sans que leur marge de manœuvre en matière de politique extérieure ne soit réduite. »
Argumentant contre cette position, un expert plus expérimenté en matière de sécurité, le professeur Karl Kaiser, rappelle que l’objectif initial de la construction de l’OTAN n’avait pas été de combattre une menace extérieure, mais d’empêcher la guerre entre les Etats-membres. En d’autres termes, les pressions centrifuges évidentes à Bucarest et qui menacent à présent de faire éclater l’OTAN, créent également les conditions pour de nouvelles confrontations militaires entre les principales puissances militaires.
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