Palestine - Un témoignage
la Nakba et l’occupation. Mon expérience personnelle de l’occupation israélienne. Récit autobiographique
Par Khaled Amayreh
Khalid Amayreh est un journaliste indépendant palestinien formé aux USA. Il vit avec sa famille dans la ville palestinienne occupée de Dura, en Cisjordanie. Voici un récit autobiographique.L’occupation israélienne c’est l’enfer, le supplice, l’asservissement permanents et la déshumanisation. Je me sens frustré car je suis incapable de vous communiquer une vision complète de ce calvaire permanent. C’est au delà des mots...
J’avais 9 ans quand Israël a occupé la Cisjordanie en 1967. Ce qui signifie que j’ai « vécu » ces 34 dernières années sous « l’ère israélienne » ou, plus précisément, sous la déshumanisante occupation militaire israélienne.
Trois ans avant ma naissance, trois de mes oncles paternels, Hussein, 27 ans, Mahmoud, 25 ans et Yosef, 23 ans, avaient été tués par des soldats Israéliens. C’étaient de simples bergers qui faisaient paître leurs troupeaux aux environs d’Al-Burj, un village près de ce qu’on appelait la ligne d’armistice, à 20 km au sud-ouest de la ville d’Hébron en Cisjordanie. Outre mes trois oncles, trois autres proches, dont une femme, avaient été tués.
En fait, les Israéliens n’ont pas fait que tuer trois membres de ma famille, mais ont aussi confisqué les trois cents moutons qui assuraient en grande partie la subsistance de ma famille. Cette calamité nous a condamnés à une vie de pauvreté et de misère dans les années qui ont suivi. Ma famille a ainsi dû vivre dans une cave pendant 22 ans. La détresse, la souffrance, une pauvreté innommable se manifestaient dans tous les aspects de notre vie. Mes trois oncles tués en un seul jour et nos 300 moutons saisis par le gouvernement israélien s’ajoutaient à d’autres pertes subies six ans auparavant. En 1948, nous avions perdu nos terres à al-Zaak, notre maison à Um Hartain, en un mot tout.
A l’époque de la domination jordanienne, les autorités se préoccupaient surtout de la loyauté envers le roi et sa famille. Avoir des relations avec le roi et ses services secrets était le signe que vous étiez « arrivé ». Crier « Longue vie au roi » vous octroyait automatiquement un certificat de bonne conduite. C’était, à n’en pas douter, un régime corrompu basé sur l’hypocrisie, le favoritisme, le népotisme, les pots de vin et la corruption. Le roi était la loi et la loi n’existait pas.
Le régime jordanien n’a jamais fait d’efforts sérieux pour se préparer à repousser une éventuelle agression israélienne. La première priorité du régime jordanien semblait être de s’assurer que les Palestiniens n’étaient pas en possession d’armes à feu. Un Palestinien pouvait écoper de six mois de prison s’il était trouvé en possession d’une balle de fusil.
Comme les Israéliens plus tard, les Jordaniens enrôlaient les clans de notables pour les informer de chaque fait et geste de l’opposition ou de l’insatisfaction envers la monarchie dans leurs secteurs respectifs. Cette organisation à la fois policière et clientéliste n’a fait qu’encourager la corruption.
Les Palestiniens indépendants d’esprit qui insistaient pour exprimer leur pensée étaient jetés dans la fameuse prison d’El-Jafer, à l’est de la Jordanie ,où ils étaient souvent torturés à mort, Je connais au moins une personne de Dura, ma ville, qui est morte sous la torture pour ses idées politiques.
Nous supportions donc deux fardeaux, le despotisme et la répression du régime jordanien et les fréquentes attaques israéliennes à la frontière. Je ne peux pas oublier les Mirages israéliens au-dessus de ma tête en 1966, larguant leurs bombes au napalm sur les civils du village d’El-Sammou.
En 1967 j’avais dix ans. Je me souviens qu’on nous a dit de brandir les drapeaux blancs quand l’armée israélienne a encerclé notre village, Kharsa, à l’ouest d’Hébron. On nous a dit qu’ils nous tireraient dessus et nous tueraient si nous ne brandissions pas les drapeaux blancs. Les soldats jordaniens se sont enfuis piteusement vers l’est, certains se déguisant en femmes.
Au début, les Israéliens avaient lancé ce qu’on pourrait appeler une campagne de charme. Certaines personnes commençaient à faire de manière prématurée des réflexions positives au sujet des Israéliens comme : « Oh, ils sont mieux que les Jordaniens, ils sont civilisés ! » Mais ce sentiment n’a pas duré longtemps, étant donné que l’armée d’occupation a adopté des mesures rigoureuses à notre encontre,
Assez rapidement, les Israéliens ont commencé à confisquer les terres et à bâtir des colonies. Ils détruisaient aussi des maisons en représailles aux attaques de guérilla. Dans notre culture, si vous voulez faire comprendre tout le mal que vous pensez de quelqu’un, vous dites : « Yikhrib Beitak » : puisse ta maison être détruite.
Les Israéliens cherchèrent à profiter à fond de ce point faible de notre psychologie. Ils démolirent des milliers de maisons. Les démolitions n’ont jamais cessé. Les démolitions ont laissé des blessures psychologiques profondes dans le coeur et la mémoire des gens. Des enfants rentraient de l’école juste pour voir leurs maisons détruites par des bulldozers conduits par des soldats portant des casques frappés de l’étoile de David. Cette étoile de David dont on nous dit qu’elle est un symbole religieux, symbolisait la haine et le mal, Aujourd’hui encore, je suis incapable d’imaginer plus fort symbole de haine. Les enfants dont les maisons étaient démolies souffraient, entre autres troubles, de phobies, d’états de stress, de névrose et de dépression.
A l’âge de 11 ans, j’ai personnellement été témoin de plusieurs démolitions. L’opération était précédée par mise sous statut de "zone militaire interdite" du village où se trouvait la maison condamnée. Alors, on ordonnait à tous les hommes âgés de 14 à 70 ans de se rassembler, têtes baissées, dans la cour de l’école du village, Très souvent, les soldats tiraient au-dessus de le tête des gens pour les terroriser. Jamais de politesse et, à cette époque, il n’y avait ni CNN ni Al Jazeera pour rapporter ces actions honteuses ; ils se sentaient donc libres d’agir à leur aise. Puis l’officier chargé de l’opération donnait une demi-heure à la famille accusée pour évacuer ses biens (de nos jours, il n’accorde même pas cinq minutes).
Le spectacle d’enfants qui en réconfortent d’autres plus jeunes est quelque chose d’accablant. Les mères de famille désespérées se hâtaient pour récupérer leurs ustensiles de cuisines et leurs quelques appareils ménagers avant qu’ils ne soient ensevelis, Un enfant se dépêchait pour sauver son jouet préféré ou un portrait de son grand-père décédé avant qu’il ne soit trop tard. Puis l’officier ordonnait au bulldozer d’avancer et la maison n’était plus que décombres.
Ensuite, la Croix Rouge apportait une tente en guise d’abri provisoire ou encore la famille suppliciée installait simplement une clôture pour dormir à la belle étoile. Ce sont des images indélébiles du malheur, un témoignage hideux de la sauvagerie israélienne de type nazi.
Issu d’une famille très pauvre, j’ai commencé à travailler à 14 ans dans le bâtiment à Beersheva puis comme aide-plâtrier. J’ai pu apprendre l’hébreu et l’arabe dialectal marocain parlé par de nombreux Juifs venus d’Afrique du Nord. Comme les Palestiniens, la plupart des Juifs Marocains travaillaient dans le secteur du bâtiment. Certains étaient aussi cantonniers.
Parfois, les gens qui m’employaient ne me donnaient pas mon salaire. J’ai travaillé pour des entreprises de construction connues comme Rasco, Solel Bonei, Hevrat Ovdeim. J’ai encore mon ancienne carte de travail israélienne. Nous étions constamment humiliés aux points de contrôle israéliens et aux barrages au carrefour d’A’rad sur la route de Beersheva. Un officier juif pouvait frapper sauvagement l’un d’entre nous sans aucun motif. J’ai eu beaucoup d’amis juifs à l’époque, mais la barrière psychologique restait intacte. Je m’étais lié avec des Juifs marocains et tunisiens à A’rad, Beersheva et Dimona.
A Dura, en 1974, j’ai participé à une manifestation contre l’occupation (j’étais alors lycéen). Après m’avoir bloqué dans une ruelle de cette petite ville, les soldats me frappèrent sauvagement à la tête avec la crosse de leurs fusils. J’étais à demi-mort. Je les ai haïs car à aucun moment je n’avais représenté une menace pour leurs vies. Ils ne montrèrent aucune humanité. Or, je ne faisais que crier « Palestine arabe ».
En 1975, après mon baccalauréat, je suis retourné travailler dans le bâtiment à Beersheva. Ma famille était trop pauvre pour m’envoyer à l’université. Pendant quelques temps, le chantier à Beersheva a été mon université. J’y ai travaillé pour un patron nommé Shimon, un Juif tunisien. C’était un travail pénible, mais j’ai pu épargner assez d’argent pour aller à Amman, où j’ai pu obtenir un visa d’études pour les USA.
En juillet 1976, je suis parti pour les USA avec seulement 200$ en poche. Là bas, j’ai suvi les cours du Seminole and Oscar Rose College en Oklahoma puis de l’université d’Oklahoma à Norman où j’ai obtenu une licence en journalisme. En 1982 j’ai obtenu un Master à l’université de Southern Illinois à Carbondale. Mon projet initial était de devenir ingénieur, mais en voyant comment les sionistes travestissaient la réalité, faisant passer un énorme mensonge pour une « vérité » magnifiée par des millions de gens, j’ai décidé de me tourner vers le journalisme.
J’ai commencé à écrire des lettres aux rédactions des journaux, lettres qui suscitaient des réponses enragées des étudiants sionistes. Les sionistes passaient ensuite à la menace et à d’autres procédés d’intimidation. En tant que rescapé de l’enfer, de la pauvreté et de la violence, je me fichais complètement de leurs menaces. J’ai continué à leur donner la migraine jusqu’à mon tout dernier jour passé aux USA.
J’ai été très impliqué dans le mouvement étudiant aux USA. J’étais très ambivalent au sujet de ce pays. D’un côté j’étais impressionné par la démocratie et la liberté d’expression, d’un autre côté j’étais déçu par le soutien indécent apporté par les USA aux pratiques israéliennes d’oppression. Cette ambivalence est toujours présente, sauf que je suis encore plus déçu et indigné.
Mes lettres au rédacteur en chef ont été publiées dans des journaux comme « The Oklahoma Daily » et le « Daily Egyptians » sous le nom de Khalid Suleiman. A l’occasion, je signais sous d’autres noms pour égarer les sionistes.
En 1983, je suis rentré en Cisjordanie. Il m’est pourtant arrivé quelque chose au cours de mon voyage de retour à Hébron. Alors que je quittais Istanbul pour Le Caire, je pensais pouvoir me rendre directement à l’aéroport Ben Gourion (sans avoir à passer d’abord par Amman comme d’habitude). Le responsable d’El Al à l’aéroport du Caire m’avait assuré que tout irait bien et que je pourrais aller à Hébron tranquillement. Ce ne fut pas le cas.
Après l’atterrissage à l’aéroport Ben Gourion, j’ai été immédiatement arrêté. Le Shin Beth m’a interrogé cinq heures durant au sujet de mes études aux USA, de mes amis, des associations dont j’étais membre etc. On m’a alors informé que le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Yosef Burg, (père d’Abraham Burg, l'ancien président de la Knesset) avait donné l’ordre de m’interdire l’entrée dans le pays (mon pays). L’ordre précisait que je devais être renvoyé en Egypte dans les 24 heures.
Pour corser le tout, la police m’a confisqué mes papiers, dont mon « autorisation de voyage », ce document essentiel, établi par les autorités militaires israéliennes et qui avait été renouvelé par le consulat israélien à Dallas. Sans ce permis, il m’était impossible de retourner à Hébron. Burg voulait-il me bannir définitivement de mon pays comme c’est déjà le cas de millions de Palestiniens ?
Il était environ 7h du matin et les soldats m’ont emmené dans les anciens baraquements britanniques où ils m’ont ordonné de rester jusqu’au lendemain matin. Trois soldates étaient restées près de moi faisant toutes sortes de plaisanteries à mon sujet. Elles ignoraient apparemment que je comprenais l’hébreu. On m’a donné une orange que je n’ai pas mangée.
Le lendemain matin, des agents de l’aéroport m’ont placé de force dans un avion d’Air Sinaï et deux heures plus tard, je me retrouvais au Caire.
Là bas, comme un pirate de l’air professionnel, je me suis introduit dans le point d’embarquement de la Jordanian Royal Airways après avoir persuadé un employé palestinien de me laisser entrer. Pendant le trajet Le Caire-Amman, j’ai été submergé par l’anxiété. Les autorités israéliennes avaient visé mon passeport jordanien à l’aéroport Ben Gourion, ce qui signifiait que si les Jordaniens découvraient que j’avais été à Tel Aviv, ils me jetteraient probablement en prison pour « contacts avec l’ennemi ».
Par chance, la police de l’air et des frontières de l’aéroport international d’Amman était trop occupée pour prendre le temps d’examiner les tampons sur mon passeport. Un bon point pour moi. A ce moment s’est posé le problème de mon autorisation de voyage confisquée. Il me fallait agir avec ruse ou bien devenir un réfugié pour le restant de ma vie.
Je me suis donc rendu au siège de la Croix Rouge à Amman où j’ai dit avoir perdu mon autorisation de voyage israélienne à New York (un sacré mensonge). La Croix Rouge m’a délivré un document réservé aux VIP à la place de celui que les Israéliens m’avaient confisqué. Je suis alors parti en direction du pont Allenby. Sur place, par chance, j’ai été accueilli de façon assez respectueuse, les Israéliens étant apparemment dans l’ignorance de ce qui m’était arrivé 48 heures plus tôt à l’aéroport Ben Gourion.
En 1984, j’ai entamé ma carrière journalistique. Petit à petit, les Israéliens en ont eu assez de mes idées et de mes articles. Alors la Shabak (services de renseignements) s’est mise à me convoquer une fois par mois en moyenne. Ils me demandaient de devenir un collaborateur. Je leur répondais : « Pensez-vous que quelqu’un comme moi accepterait de devenir un collaborateur ? ».
L’attitude de la Shabak (le Shin Beth) m’a convaincu que l’Etat israélien classait les Palestiniens en deux catégories, les collaborateurs et les terroristes, sans rien entre les deux.
L’endroit où se déroulait l’interrogatoire était rempli de Palestiniens soumis à la torture. J’entendais des gens crier. Je connais au moins six personnes mortes sous la torture en l’espace d’une année. L’une d’entre elles, Abdul Samad Herezat, était un de mes amis. Il est mort suite à l’utilisation de la technique du « shaking » (« secouage »).
Les Israéliens recouraient à toutes sortes de méthodes de torture sur les détenus palestiniens comme la cagoule, les passages à tabac, les électrochocs, la privation de sommeil, l’étouffement et d’autres formes de pression physique et psychologique. Les médecins Israéliens aidaient dans l’administration de la torture. Parfois ils amenaient l’épouse ou la soeur d’un détenu et menaçaient de la violer devant lui. Ils ne la violaient pas, mais menaçaient de le faire pour obtenir les aveux du prisonnier.
Pendant le premier intifada (1987-93), l’armée israélienne recourait à des pratiques vraiment ignobles de punitions collectives contre des populations entières. Elle assignait les gens à domicile pendant 30 jours consécutifs et, si quelqu’un se hasardait à sortir de chez lui, ils le tuaient. C’était comme une hibernation et beaucoup de malades dans l’impossibilité de sortir se faire soigner ont succombé à leur maladie. A Hébron, le couvre-feu a duré 3 mois après le massacre de la mosquée d’Ibrahim (le Caveau des Patriarches) (en 1994, l’officier israélo-US Baruch Goldstein assassina 29 fidèles musulmans en prière avant d’être tué par les survivants du massacre, NdT). C’était comme passer 90 jours en enfer.
Je me souviens qu’en mars 1994, Ezer Weisman, le président israélien, était venu à Hébron pour présenter ses condoléances aux Palestiniens. Mon rédacteur en chef m’avait demandé de couvrir cette visite, travail pour lequel je devais demander au camp militaire Adoyarem une autorisation de voyage pour pouvoir parcourir les 10 kilomètres jusqu’à Hébron. J’ai été stupéfait quand l’officier commandant m’a déclaré : « Désolé, vous ne pouvez pas y aller. »
J’avais répliqué : « Mais de nombreux journalistes sont là-bas ! » Il me répondit alors : « Oui, ce sont des journalistes juifs et vous n’êtes pas un Juif. »
Un peu plus tôt, l’officier de la Shabak avait fermé mon bureau d’Al-Qods Press du centre d’Hébron et interdit à tous les journaux arabophones de Cisjordanie de publier mes reportages. D’ailleurs, mon télécopieur avait été saisi et on m’avait interdit d’avoir une ligne téléphonique. Imaginez que je n’ai pu disposer du téléphone qu’en 1995, après l’installation de l’Autorité palestinienne.
Actuellement, je suis confiné dans ma ville de Dura, près d’Hébron. Je ne peux pas en sortir, je ne peux pas me rendre à l’étranger et je ne peux même pas aller dans le village voisin. Le Shin Beth israélien contrôle toujours nos existences. Aujourd’hui, le capitaine Eitan, officier du Shin Beth, m’a contacté et m’a questionné sur les récentes mesures de l’Autorité palestinienne contre le Hamas. Son message était : « Nous avons l’oeil sur vous. »
En bref, l’occupation israélienne c’est l’enfer, le supplice, l’asservissement permanents et la déshumanisation. Je me sens frustré car je suis incapable de vous communiquer une vision complète de ce calvaire permanent. C’est au delà des mots.
Source : NAZIONISM - Exposing Israel
Trois ans avant ma naissance, trois de mes oncles paternels, Hussein, 27 ans, Mahmoud, 25 ans et Yosef, 23 ans, avaient été tués par des soldats Israéliens. C’étaient de simples bergers qui faisaient paître leurs troupeaux aux environs d’Al-Burj, un village près de ce qu’on appelait la ligne d’armistice, à 20 km au sud-ouest de la ville d’Hébron en Cisjordanie. Outre mes trois oncles, trois autres proches, dont une femme, avaient été tués.
En fait, les Israéliens n’ont pas fait que tuer trois membres de ma famille, mais ont aussi confisqué les trois cents moutons qui assuraient en grande partie la subsistance de ma famille. Cette calamité nous a condamnés à une vie de pauvreté et de misère dans les années qui ont suivi. Ma famille a ainsi dû vivre dans une cave pendant 22 ans. La détresse, la souffrance, une pauvreté innommable se manifestaient dans tous les aspects de notre vie. Mes trois oncles tués en un seul jour et nos 300 moutons saisis par le gouvernement israélien s’ajoutaient à d’autres pertes subies six ans auparavant. En 1948, nous avions perdu nos terres à al-Zaak, notre maison à Um Hartain, en un mot tout.
A l’époque de la domination jordanienne, les autorités se préoccupaient surtout de la loyauté envers le roi et sa famille. Avoir des relations avec le roi et ses services secrets était le signe que vous étiez « arrivé ». Crier « Longue vie au roi » vous octroyait automatiquement un certificat de bonne conduite. C’était, à n’en pas douter, un régime corrompu basé sur l’hypocrisie, le favoritisme, le népotisme, les pots de vin et la corruption. Le roi était la loi et la loi n’existait pas.
Le régime jordanien n’a jamais fait d’efforts sérieux pour se préparer à repousser une éventuelle agression israélienne. La première priorité du régime jordanien semblait être de s’assurer que les Palestiniens n’étaient pas en possession d’armes à feu. Un Palestinien pouvait écoper de six mois de prison s’il était trouvé en possession d’une balle de fusil.
Comme les Israéliens plus tard, les Jordaniens enrôlaient les clans de notables pour les informer de chaque fait et geste de l’opposition ou de l’insatisfaction envers la monarchie dans leurs secteurs respectifs. Cette organisation à la fois policière et clientéliste n’a fait qu’encourager la corruption.
Les Palestiniens indépendants d’esprit qui insistaient pour exprimer leur pensée étaient jetés dans la fameuse prison d’El-Jafer, à l’est de la Jordanie ,où ils étaient souvent torturés à mort, Je connais au moins une personne de Dura, ma ville, qui est morte sous la torture pour ses idées politiques.
Nous supportions donc deux fardeaux, le despotisme et la répression du régime jordanien et les fréquentes attaques israéliennes à la frontière. Je ne peux pas oublier les Mirages israéliens au-dessus de ma tête en 1966, larguant leurs bombes au napalm sur les civils du village d’El-Sammou.
En 1967 j’avais dix ans. Je me souviens qu’on nous a dit de brandir les drapeaux blancs quand l’armée israélienne a encerclé notre village, Kharsa, à l’ouest d’Hébron. On nous a dit qu’ils nous tireraient dessus et nous tueraient si nous ne brandissions pas les drapeaux blancs. Les soldats jordaniens se sont enfuis piteusement vers l’est, certains se déguisant en femmes.
Au début, les Israéliens avaient lancé ce qu’on pourrait appeler une campagne de charme. Certaines personnes commençaient à faire de manière prématurée des réflexions positives au sujet des Israéliens comme : « Oh, ils sont mieux que les Jordaniens, ils sont civilisés ! » Mais ce sentiment n’a pas duré longtemps, étant donné que l’armée d’occupation a adopté des mesures rigoureuses à notre encontre,
Assez rapidement, les Israéliens ont commencé à confisquer les terres et à bâtir des colonies. Ils détruisaient aussi des maisons en représailles aux attaques de guérilla. Dans notre culture, si vous voulez faire comprendre tout le mal que vous pensez de quelqu’un, vous dites : « Yikhrib Beitak » : puisse ta maison être détruite.
Les Israéliens cherchèrent à profiter à fond de ce point faible de notre psychologie. Ils démolirent des milliers de maisons. Les démolitions n’ont jamais cessé. Les démolitions ont laissé des blessures psychologiques profondes dans le coeur et la mémoire des gens. Des enfants rentraient de l’école juste pour voir leurs maisons détruites par des bulldozers conduits par des soldats portant des casques frappés de l’étoile de David. Cette étoile de David dont on nous dit qu’elle est un symbole religieux, symbolisait la haine et le mal, Aujourd’hui encore, je suis incapable d’imaginer plus fort symbole de haine. Les enfants dont les maisons étaient démolies souffraient, entre autres troubles, de phobies, d’états de stress, de névrose et de dépression.
A l’âge de 11 ans, j’ai personnellement été témoin de plusieurs démolitions. L’opération était précédée par mise sous statut de "zone militaire interdite" du village où se trouvait la maison condamnée. Alors, on ordonnait à tous les hommes âgés de 14 à 70 ans de se rassembler, têtes baissées, dans la cour de l’école du village, Très souvent, les soldats tiraient au-dessus de le tête des gens pour les terroriser. Jamais de politesse et, à cette époque, il n’y avait ni CNN ni Al Jazeera pour rapporter ces actions honteuses ; ils se sentaient donc libres d’agir à leur aise. Puis l’officier chargé de l’opération donnait une demi-heure à la famille accusée pour évacuer ses biens (de nos jours, il n’accorde même pas cinq minutes).
Le spectacle d’enfants qui en réconfortent d’autres plus jeunes est quelque chose d’accablant. Les mères de famille désespérées se hâtaient pour récupérer leurs ustensiles de cuisines et leurs quelques appareils ménagers avant qu’ils ne soient ensevelis, Un enfant se dépêchait pour sauver son jouet préféré ou un portrait de son grand-père décédé avant qu’il ne soit trop tard. Puis l’officier ordonnait au bulldozer d’avancer et la maison n’était plus que décombres.
Ensuite, la Croix Rouge apportait une tente en guise d’abri provisoire ou encore la famille suppliciée installait simplement une clôture pour dormir à la belle étoile. Ce sont des images indélébiles du malheur, un témoignage hideux de la sauvagerie israélienne de type nazi.
Issu d’une famille très pauvre, j’ai commencé à travailler à 14 ans dans le bâtiment à Beersheva puis comme aide-plâtrier. J’ai pu apprendre l’hébreu et l’arabe dialectal marocain parlé par de nombreux Juifs venus d’Afrique du Nord. Comme les Palestiniens, la plupart des Juifs Marocains travaillaient dans le secteur du bâtiment. Certains étaient aussi cantonniers.
Parfois, les gens qui m’employaient ne me donnaient pas mon salaire. J’ai travaillé pour des entreprises de construction connues comme Rasco, Solel Bonei, Hevrat Ovdeim. J’ai encore mon ancienne carte de travail israélienne. Nous étions constamment humiliés aux points de contrôle israéliens et aux barrages au carrefour d’A’rad sur la route de Beersheva. Un officier juif pouvait frapper sauvagement l’un d’entre nous sans aucun motif. J’ai eu beaucoup d’amis juifs à l’époque, mais la barrière psychologique restait intacte. Je m’étais lié avec des Juifs marocains et tunisiens à A’rad, Beersheva et Dimona.
A Dura, en 1974, j’ai participé à une manifestation contre l’occupation (j’étais alors lycéen). Après m’avoir bloqué dans une ruelle de cette petite ville, les soldats me frappèrent sauvagement à la tête avec la crosse de leurs fusils. J’étais à demi-mort. Je les ai haïs car à aucun moment je n’avais représenté une menace pour leurs vies. Ils ne montrèrent aucune humanité. Or, je ne faisais que crier « Palestine arabe ».
En 1975, après mon baccalauréat, je suis retourné travailler dans le bâtiment à Beersheva. Ma famille était trop pauvre pour m’envoyer à l’université. Pendant quelques temps, le chantier à Beersheva a été mon université. J’y ai travaillé pour un patron nommé Shimon, un Juif tunisien. C’était un travail pénible, mais j’ai pu épargner assez d’argent pour aller à Amman, où j’ai pu obtenir un visa d’études pour les USA.
En juillet 1976, je suis parti pour les USA avec seulement 200$ en poche. Là bas, j’ai suvi les cours du Seminole and Oscar Rose College en Oklahoma puis de l’université d’Oklahoma à Norman où j’ai obtenu une licence en journalisme. En 1982 j’ai obtenu un Master à l’université de Southern Illinois à Carbondale. Mon projet initial était de devenir ingénieur, mais en voyant comment les sionistes travestissaient la réalité, faisant passer un énorme mensonge pour une « vérité » magnifiée par des millions de gens, j’ai décidé de me tourner vers le journalisme.
J’ai commencé à écrire des lettres aux rédactions des journaux, lettres qui suscitaient des réponses enragées des étudiants sionistes. Les sionistes passaient ensuite à la menace et à d’autres procédés d’intimidation. En tant que rescapé de l’enfer, de la pauvreté et de la violence, je me fichais complètement de leurs menaces. J’ai continué à leur donner la migraine jusqu’à mon tout dernier jour passé aux USA.
J’ai été très impliqué dans le mouvement étudiant aux USA. J’étais très ambivalent au sujet de ce pays. D’un côté j’étais impressionné par la démocratie et la liberté d’expression, d’un autre côté j’étais déçu par le soutien indécent apporté par les USA aux pratiques israéliennes d’oppression. Cette ambivalence est toujours présente, sauf que je suis encore plus déçu et indigné.
Mes lettres au rédacteur en chef ont été publiées dans des journaux comme « The Oklahoma Daily » et le « Daily Egyptians » sous le nom de Khalid Suleiman. A l’occasion, je signais sous d’autres noms pour égarer les sionistes.
En 1983, je suis rentré en Cisjordanie. Il m’est pourtant arrivé quelque chose au cours de mon voyage de retour à Hébron. Alors que je quittais Istanbul pour Le Caire, je pensais pouvoir me rendre directement à l’aéroport Ben Gourion (sans avoir à passer d’abord par Amman comme d’habitude). Le responsable d’El Al à l’aéroport du Caire m’avait assuré que tout irait bien et que je pourrais aller à Hébron tranquillement. Ce ne fut pas le cas.
Après l’atterrissage à l’aéroport Ben Gourion, j’ai été immédiatement arrêté. Le Shin Beth m’a interrogé cinq heures durant au sujet de mes études aux USA, de mes amis, des associations dont j’étais membre etc. On m’a alors informé que le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Yosef Burg, (père d’Abraham Burg, l'ancien président de la Knesset) avait donné l’ordre de m’interdire l’entrée dans le pays (mon pays). L’ordre précisait que je devais être renvoyé en Egypte dans les 24 heures.
Pour corser le tout, la police m’a confisqué mes papiers, dont mon « autorisation de voyage », ce document essentiel, établi par les autorités militaires israéliennes et qui avait été renouvelé par le consulat israélien à Dallas. Sans ce permis, il m’était impossible de retourner à Hébron. Burg voulait-il me bannir définitivement de mon pays comme c’est déjà le cas de millions de Palestiniens ?
Il était environ 7h du matin et les soldats m’ont emmené dans les anciens baraquements britanniques où ils m’ont ordonné de rester jusqu’au lendemain matin. Trois soldates étaient restées près de moi faisant toutes sortes de plaisanteries à mon sujet. Elles ignoraient apparemment que je comprenais l’hébreu. On m’a donné une orange que je n’ai pas mangée.
Le lendemain matin, des agents de l’aéroport m’ont placé de force dans un avion d’Air Sinaï et deux heures plus tard, je me retrouvais au Caire.
Là bas, comme un pirate de l’air professionnel, je me suis introduit dans le point d’embarquement de la Jordanian Royal Airways après avoir persuadé un employé palestinien de me laisser entrer. Pendant le trajet Le Caire-Amman, j’ai été submergé par l’anxiété. Les autorités israéliennes avaient visé mon passeport jordanien à l’aéroport Ben Gourion, ce qui signifiait que si les Jordaniens découvraient que j’avais été à Tel Aviv, ils me jetteraient probablement en prison pour « contacts avec l’ennemi ».
Par chance, la police de l’air et des frontières de l’aéroport international d’Amman était trop occupée pour prendre le temps d’examiner les tampons sur mon passeport. Un bon point pour moi. A ce moment s’est posé le problème de mon autorisation de voyage confisquée. Il me fallait agir avec ruse ou bien devenir un réfugié pour le restant de ma vie.
Je me suis donc rendu au siège de la Croix Rouge à Amman où j’ai dit avoir perdu mon autorisation de voyage israélienne à New York (un sacré mensonge). La Croix Rouge m’a délivré un document réservé aux VIP à la place de celui que les Israéliens m’avaient confisqué. Je suis alors parti en direction du pont Allenby. Sur place, par chance, j’ai été accueilli de façon assez respectueuse, les Israéliens étant apparemment dans l’ignorance de ce qui m’était arrivé 48 heures plus tôt à l’aéroport Ben Gourion.
En 1984, j’ai entamé ma carrière journalistique. Petit à petit, les Israéliens en ont eu assez de mes idées et de mes articles. Alors la Shabak (services de renseignements) s’est mise à me convoquer une fois par mois en moyenne. Ils me demandaient de devenir un collaborateur. Je leur répondais : « Pensez-vous que quelqu’un comme moi accepterait de devenir un collaborateur ? ».
L’attitude de la Shabak (le Shin Beth) m’a convaincu que l’Etat israélien classait les Palestiniens en deux catégories, les collaborateurs et les terroristes, sans rien entre les deux.
L’endroit où se déroulait l’interrogatoire était rempli de Palestiniens soumis à la torture. J’entendais des gens crier. Je connais au moins six personnes mortes sous la torture en l’espace d’une année. L’une d’entre elles, Abdul Samad Herezat, était un de mes amis. Il est mort suite à l’utilisation de la technique du « shaking » (« secouage »).
Les Israéliens recouraient à toutes sortes de méthodes de torture sur les détenus palestiniens comme la cagoule, les passages à tabac, les électrochocs, la privation de sommeil, l’étouffement et d’autres formes de pression physique et psychologique. Les médecins Israéliens aidaient dans l’administration de la torture. Parfois ils amenaient l’épouse ou la soeur d’un détenu et menaçaient de la violer devant lui. Ils ne la violaient pas, mais menaçaient de le faire pour obtenir les aveux du prisonnier.
Pendant le premier intifada (1987-93), l’armée israélienne recourait à des pratiques vraiment ignobles de punitions collectives contre des populations entières. Elle assignait les gens à domicile pendant 30 jours consécutifs et, si quelqu’un se hasardait à sortir de chez lui, ils le tuaient. C’était comme une hibernation et beaucoup de malades dans l’impossibilité de sortir se faire soigner ont succombé à leur maladie. A Hébron, le couvre-feu a duré 3 mois après le massacre de la mosquée d’Ibrahim (le Caveau des Patriarches) (en 1994, l’officier israélo-US Baruch Goldstein assassina 29 fidèles musulmans en prière avant d’être tué par les survivants du massacre, NdT). C’était comme passer 90 jours en enfer.
Je me souviens qu’en mars 1994, Ezer Weisman, le président israélien, était venu à Hébron pour présenter ses condoléances aux Palestiniens. Mon rédacteur en chef m’avait demandé de couvrir cette visite, travail pour lequel je devais demander au camp militaire Adoyarem une autorisation de voyage pour pouvoir parcourir les 10 kilomètres jusqu’à Hébron. J’ai été stupéfait quand l’officier commandant m’a déclaré : « Désolé, vous ne pouvez pas y aller. »
J’avais répliqué : « Mais de nombreux journalistes sont là-bas ! » Il me répondit alors : « Oui, ce sont des journalistes juifs et vous n’êtes pas un Juif. »
Un peu plus tôt, l’officier de la Shabak avait fermé mon bureau d’Al-Qods Press du centre d’Hébron et interdit à tous les journaux arabophones de Cisjordanie de publier mes reportages. D’ailleurs, mon télécopieur avait été saisi et on m’avait interdit d’avoir une ligne téléphonique. Imaginez que je n’ai pu disposer du téléphone qu’en 1995, après l’installation de l’Autorité palestinienne.
Actuellement, je suis confiné dans ma ville de Dura, près d’Hébron. Je ne peux pas en sortir, je ne peux pas me rendre à l’étranger et je ne peux même pas aller dans le village voisin. Le Shin Beth israélien contrôle toujours nos existences. Aujourd’hui, le capitaine Eitan, officier du Shin Beth, m’a contacté et m’a questionné sur les récentes mesures de l’Autorité palestinienne contre le Hamas. Son message était : « Nous avons l’oeil sur vous. »
En bref, l’occupation israélienne c’est l’enfer, le supplice, l’asservissement permanents et la déshumanisation. Je me sens frustré car je suis incapable de vous communiquer une vision complète de ce calvaire permanent. C’est au delà des mots.
Source : NAZIONISM - Exposing Israel
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